Il publie son troisième roman

Publié par Alvin NORGE le

Emmanuel Viau, dans la mémoire du temps.

Il clôt avec La Petite Muette du Mont Sainte-Odile , sa trilogie historique ancrée dans l’Alsace des XIVe et XVIe siècles : Emmanuel Viau y évoque, à travers des destins de femmes, les thèmes de l’ordre et du chaos. Et comment, assez souvent, l’humain déraisonne.

Emmanuel Viau : comment le chaos surgit de l’ordre avant que ne se réinstalle un équilibre.

Il est expert en personnages attachants qu’il finit par trucider joyeusement au hasard d’un chapitre. Si on lui en fait la remarque sur un ton désolé, Emmanuel Viau se fend d’un petit sourire légèrement sadique, avant de répondre, l’air de ne pas y toucher : « Il y en a aussi qui s’en sortent bien ! ».

Ce qui est vrai. D’ailleurs, l’un des ressorts narratifs de sa trilogie romanesque, que termine La Petite Muette du Mont Sainte-Odile , consiste justement à mettre en scène la capacité de survie et de résilience de l’être humain alors que se déchaînent autour de lui de grands drames collectifs.

Dans le flux de l’Histoire, avec Salomé et Maria.

Après l’épidémie de danse folle dont le Strasbourg de 1518 fut le théâtre ( Les Légions furieuses , livre paru en 2017), puis la guerre des paysans de 1525 ( Le Sang des paysans , 2018), notre confrère Emmanuel Viau opère cette fois-ci un grand écart entre les XIVe et le XVIe siècles. En amont, le Moyen Âge. En aval, la Renaissance.

Deux temporalités qui, par-delà les générations, se font écho l’une à l’autre. D’abord au travers de la petite Salomé, qui échappe au massacre dont sont victimes les juifs de Strasbourg, le jour de la Saint-Valentin 1349 – on parle de 2000 morts. Ensuite avec Maria, 20 ans en 1546, confiée dès son plus jeune âge à la bienveillance distraite de l’abbesse du Mont Sainte-Odile, mais de fait cloîtrée en un lieu dont elle parviendra à s’échapper grâce à l’intervention inespérée d’une bande de ménestrels – la Petite Muette qui donne son nom au roman, c’est elle, et son évasion donnera lieu à une sanglante vengeance. Un fil rouge relie Salomé à Maria que tout semblerait séparer : la petite juive de Strasbourg et la jeune fille élevée dans ce haut lieu de la chrétienté en Alsace.

Pour ceux qui avaient lu les précédents romans d’Emmanuel Viau, La Petite Muette du Mont Sainte-Odile en constitue, à travers ces deux figures féminines, « un avant et un après ». Le livre de la révélation, en quelque sorte. Celui qui éclaire d’une façon nouvelle Les Légions Furieuses et Le Sang des paysans , donnant à ce grand récit toute sa dimension qui dépasse le simple cadre du factuel et de l’immédiat. Récit porté par cette conviction que, par-delà le temps, les générations peuvent être solidaires les unes des autres. « Je pense qu’il y a une mémoire des générations que nous portons tous en nous. On vient toujours de quelque part », résume celui qui, avant d’obtenir sa carte de presse a décroché un doctorat en sociologie et s’intéresse « aux périodes de transition, au chaos qui jaillit de l’ordre avant que ne s’installe un nouvel équilibre ».

Mais que ceux qui prendraient le train en route, ignorant tout des deux précédents romans, ne s’affolent pas. Le lecteur se laisse porter par les deux trajectoires de Salomé et Maria, dont les étapes alternent d’un chapitre à l’autre avec ce sens du suspens digne d’un feuilletoniste du XIXe siècle. Quelque chose d’une alchimie dont l’auteur sait soigneusement doser les deux principaux ingrédients : une reconstitution historique à laquelle il s’attaque avec un plaisir gourmand et cette faculté à tisser des profils psychologiques à travers lesquels se lit une histoire. Voire l’Histoire, ici à hauteur d’une enfant et d’une jeune fille. Qui survivront à leur époque troublée. Parce que, effectivement, Emmanuel Viau a parfois la plume clémente…

La Petite Muette du Mont Sainte-Odile , par Emmanuel Viau, aux éditions du Signe, 171 pages, 20 €.

Catégories : Recueil